En Argentine, l’économie «chancelle» après la percée de Javier Milei – Libération


La victoire de l’économiste ultralibéral d’extrême droite aux primaires de dimanche a poussé les autorités monétaires à dévaluer le peso de 20 %. Une mesure pour anticiper la réaction des marchés qui risque d’augmenter encore l’inflation.

Un lundi noir en Argentine : après la gueule de bois politique, le contrecoup économique. Dimanche 13 août, l’économiste ultralibéral et d’extrême droite Javier Milei a terminé en tête des primaires obligatoires censées désigner les candidats à la présidentielle d’octobre avec un peu plus de 30 % des voix. Il devance contre toute attente la droite traditionnelle (28 %) et la gauche péroniste au pouvoir (27 %). Un tremblement de terre politique aux effets très concrets : les autorités monétaires ont décidé de dévaluer le peso d’environ 20 % lundi, anticipant la réaction des marchés à la victoire de ce candidat antisystème qui rêve de supprimer la banque centrale et de dollariser l’économie argentine. De quoi fragiliser un peu plus une économie déjà plombée par une dette extérieure colossale et une inflation endémique, à deux chiffres depuis douze ans, et de 115 % sur un an.

Banco Nación, la plus grande banque publique du pays, affichait lundi un cours officiel du peso à 365,50 pesos pour un dollar, après avoir ouvert à 350, contre 298,50 vendredi à l’avant-veille du scrutin. En un mois, depuis mi-juillet, le peso a perdu 38 % de sa valeur. Sur le marché parallèle des changes, le peso s’échangeait dans l’après-midi à un peu plus de 680 pour un dollar. Dans la foulée, la Banque centrale a annoncé une hausse des taux d’intérêt pour les dépôts à terme de 97 % à 118 %, sa troisième forte hausse en cinq mois, «en ligne avec le réajustement du taux de change officiel», et afin d’amortir «les anticipations de change, et minimiser la répercussion sur les prix».

Les primaires ont ainsi contraint les autorités monétaires à une mesure drastique pour défendre le peso, alors qu’elles procédaient depuis des mois à des microdévaluations en douceur, dites «crawling peg» ou «change glissant», pour ramener le peso a un taux plus conforme vis-à-vis du dollar. Une conséquence pas si surprenante tant les analystes s’attendaient à une réaction nerveuse des marchés face à des primaires aussi attendues qu’incertaines. Après celles de 2018, la déroute de l’ancien président Mauricio Macri (droite libérale) face à l’actuel chef de l’Etat Alberto Fernández (gauche péroniste) avait fait dévisser le peso de 25 %.

Jeu d’équilibriste

Cette dévaluation du peso et ses conséquences risquent d’handicaper un peu plus la gauche au pouvoir. Déjà affecté par un score historiquement bas – le plus bas depuis les premières primaires en 2011 pour le camp péroniste –, le candidat Sergio Massa, qui est aussi et surtout ministre de l’Economie, va devoir jouer un jeu d’équilibriste pour éviter que l’économie sombre sans s’attirer les foudres des électeurs. Car cette dévaluation du peso, tout en le ramenant «à un taux plus proche de sa juste valeur» risque «d’accentuer encore les pressions inflationnistes, peut-être jusqu’à 130-140 %», estime le cabinet de conseil Capital Economics pour qui l’économie «chancelle».

Qui dit plus d’inflation, dit aussi «une récession plus forte que prévu et une forte baisse des salaires réels», résume au quotidien espagnol El País Elisabet Bacigalupo, responsable de l’équipe macroéconomique du cabinet de conseil Abeceb. «Le gouvernement doit éviter une crise macroéconomique, sinon il n’aura aucune chance en octobre, mais en même temps il ne peut pas trop aggraver la détérioration de l’économie avec des mesures d’austérité, car il aura du mal à conserver les votes.» L’inquiétude de la population argentine face à une prévisible flambée des prix s’est déjà fait sentir lundi à Buenos Aires, la capitale, avec de nombreux magasins qui ont préféré fermer boutique plutôt que de risquer de vendre à perte.

Ce qui risque d’entraîner un paradoxe inquiétant : tout en nourrissant l’incertitude économique, le discours incendiaire de Javier Milei contre la «caste politique» risque de trouver de plus en plus d’écho dans la société argentine si la situation continue de se dégrader dans les prochaines semaines.

Un œil sur le FMI

L’autre grand défi du ministre de l’Economie, Sergio Massa, va être de continuer les pourparlers avec le Fonds monétaire international (FMI) sur le refinancement de la dette argentine envers le Fonds, legs d’un prêt de 44 milliards de dollars (40 milliards d’euros) contracté en 2018 par le gouvernement précédent. Le FMI doit fin août confirmer le versement de 7,5 milliards de dollars (près de 6,9 milliards d’euros) à l’Etat argentin dans le cadre de ce plan, mais l’incertitude née des primaires «génère des interrogations» sur «la capacité de Sergio Massa à tenir les objectifs» budgétaires notamment agréés avec le Fond, estime l’analyste indépendant Carlos Fara. Pour Capital Economics, l’incertitude accrue va rendre «plus difficile pour le gouvernement et le FMI de considérer la dette argentine tenable».

Des sources dans le milieu de la bourse, contactées par El País, tiennent un discours un tantinet plus rassurant. Selon elle, la dévaluation officielle de lundi a forcément été convenue à l’avance avec le FMI dans le cadre de l’accord conclu à la fin du mois de juillet. D’autant qu’une grande partie des fonds liés au dernier versement sont déjà engagés auprès des créanciers qui ont prêté de l’argent à l’Argentine pour honorer ses engagements auprès de l’organisme international. Le Fonds a d’ailleurs salué lundi «les récentes actions et l’engagement des autorités (argentines) dans le sens d’une stabilité préservée, de la reconstitution de réserves de change, et d’amélioration de l’ordre budgétaire», via la porte-parole Julie Kozack, sans citer explicitement les mesures du jour.



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